Au cœur de l'archipel des Canaries, une île extraordinaire se dresse dans l'océan Atlantique, portant les cicatrices spectaculaires d'un passé volcanique tumultueux. Lanzarote, anciennement appelée Lancerotte et connue sous le nom guanche de Titerogakat, représente un véritable laboratoire géologique à ciel ouvert où la nature a sculpté des paysages d'une beauté saisissante.
Cette terre de contrastes, peuplée de 142 517 habitants, occupe une position stratégique à seulement 127 kilomètres des côtes marocaines. Avec ses 845,94 km² de superficie, elle constitue la quatrième île de l'archipel canarien par la taille, mais son importance dépasse largement ses dimensions modestes. Depuis 1993, l'UNESCO l'a reconnue comme réserve mondiale de biosphère, témoignant de son exceptionnelle valeur écologique et géologique.
L'identité de Lanzarote est indissociable de son origine volcanique. Contrairement à ses voisines plus montagneuses, l'île culmine modestement à 674 mètres aux Peñas del Chache, mais cette apparente discrétion cache une histoire géologique fascinante. Le tunnel de l'Atlantide, situé près de ses côtes, détient le record mondial du tunnel de lave sous-marin le plus long, illustrant l'intense activité volcanique qui caractérise cette région.
Cependant, c'est au début du XVIIIe siècle que Lanzarote a vécu l'événement le plus marquant de son histoire moderne. Dans la nuit du 1er septembre 1730, entre neuf et dix heures du soir, la terre s'est brutalement ouverte près de Timanfaya, à deux lieues de Yaiza[1][2]. Cette éruption, qui allait transformer à jamais le visage de l'île, marque le début d'une période d'activité volcanique sans précédent qui s'étendra sur six longues années.
Le témoignage précieux d'Andrés Lorenzo Curbelo, curé de Yaiza, nous permet de revivre ces moments dramatiques : "La première nuit, une immense montagne s'éleva du sein de la terre et du sommet s'échappèrent des flammes qui continuèrent à brûler pendant dix-neuf jours"[1][2]. Ce récit de première main révèle l'ampleur du spectacle naturel qui s'offrait aux habitants terrifiés de l'île.
Les éruptions de Timanfaya ne se limitèrent pas à un événement ponctuel. Elles se prolongèrent du 1er septembre 1730 au 16 avril 1736, créant un véritable effet domino volcanique[5]. À quelques exceptions près, comme la Montaña Negra, la plupart des volcans autour du Cuervo entrèrent successivement en éruption[1]. Cette activité en chaîne déversa des torrents de lave sur Timanfaya, Rodeo et une partie de Mancha Blanca, redessinant complètement la géographie locale.
L'ampleur de cette catastrophe naturelle défie l'imagination. Lorsque la terre retrouva finalement son calme le 16 avril 1736, un tiers de l'île était recouvert de lave et douze villages avaient été rayés de la carte[4]. Ces éruptions comptent parmi les plus importantes de l'histoire du volcanisme mondial, tant par la quantité de lave déversée que par leur durée exceptionnelle. Environ 167 km² de territoire furent recouverts par les coulées de lave et les pluies de cendres[5].
La population locale, confrontée à cette transformation radicale de son environnement, dut faire face à un exode massif. Entre 1731 et 1732, les habitants de la région furent contraints d'émigrer, abandonnant leurs terres ancestrales devenues inhabitables. Cette migration forcée marque une rupture profonde dans l'histoire démographique de l'île.
Aujourd'hui, le parc national de Timanfaya s'étend sur environ 200 km² dans la région des Montañas del Fuego, témoignant de cette période volcanique extraordinaire. Ce territoire, partagé entre les communes de Tinajo et Yaiza, abrite près de 300 volcans[4]. Le paysage qui en résulte, souvent qualifié de lunaire, frappe par son caractère surréaliste et sa beauté austère.
L'Islote de Hilario constitue le dernier volcan actif de l'île, rappelant que cette terre de feu n'a pas dit son dernier mot. La dernière éruption volcanique remonte à 1824[4], mais l'activité géothermique demeure présente, comme en témoignent les démonstrations spectaculaires où l'eau versée dans le sol ressort immédiatement sous forme de geysers.
Les volcans de type hawaïen qui composent le parc forment de grandes colonnes de cendre lors des éruptions. Leurs composants, les lapillis, poussés par les vents, ont recouvert de vastes étendues et les pentes de cratères plus anciens, créant cette étendue unique appelée Valle de la Tranquilidad (vallée de la tranquillité)[5].
Malgré les conditions apparemment hostiles, Lanzarote a développé un écosystème remarquable qui lui vaut sa reconnaissance UNESCO. Le climat subdésertique de l'île, caractérisé par moins de 200 millimètres de précipitations annuelles, n'empêche pas une biodiversité unique de s'épanouir. Les températures clémentes, oscillant entre 12°C en hiver et 25°C en été, créent des conditions favorables à une flore adaptée aux milieux arides.
L'île bénéficie de la douceur climatique apportée par les alizés et le courant froid des Canaries, tempérant les effets de sa latitude subtropicale. Cette situation géographique privilégiée, à la croisée des influences atlantiques et sahariennes, confère à Lanzarote un caractère climatique unique dans l'archipel canarien.
L'histoire humaine de Lanzarote remonte à plus de deux millénaires. Les Mahos ou Mahoreros, peuples d'origine amazighe, ont laissé des traces indélébiles dans la toponymie de l'île. Le nom originel Tyterogaka signifierait "La Brûlée" selon certains chercheurs, préfigurant étonnamment le destin volcanique de cette terre.
La conquête européenne de 1402, menée par Jean de Béthencourt et Gadifer de La Salle, marque le début d'une nouvelle ère. La première colonie européenne des Canaries s'établit à El Rubicón, dans le sud de l'île, où fut érigée une cathédrale dédiée à saint Martial de Limoges.
Cette île fascinante continue d'attirer scientifiques, artistes et voyageurs du monde entier, offrant un laboratoire naturel exceptionnel pour comprendre les forces géologiques qui façonnent notre planète. Lanzarote demeure un témoignage vivant de la puissance créatrice et destructrice des volcans, sculptant sans cesse de nouveaux paysages dans cette portion d'Atlantique où l'Afrique côtoie l'Europe.
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